

Le ou les Détails.
C’est la phrase classique, un peu bateau, que l’on sort quand quelqu’un a échoué à cause de la négligence d’un ou de plusieurs petits détails, d’un oubli, du non-respect d’un élément clé et fondamental dans le processus de succès. Ou quand cela aurait dû pu être simple et que cela s’est compliqué pour un rien.
C’est Nietzsche qui le fait dire pour la première fois dans le Zarathoustra. Il n’y a aucune dimension religieuse ou philosophique dans cette expression. Pour lui, le diable devait être ici considéré comme un petit être maléfique qui viendrait semer la zizanie de manière discrète en influant sur les détails et qui prendrait un malin plaisir à faire cela.
L’Echec, ou la Réussite, tiendrait donc à pas grand-chose, à ce petit détail. Mais si l’on lit bien cette expression, on ne parle pas d’un détail mais des détails. Il faudrait donc plus qu’un seul et unique détail pour faire basculer la Réussite en Echec, et inversement. Le malin petit plaisir du Diable serait presque d’enfiler comme des perles une suite de détails toxiques, de les mettre sur notre route, comme un piège pour annihiler tous les efforts vers le Succès. Et pire, nous aurions la possibilité de les identifier, de les anticiper, de les maîtriser… sans le faire vraiment. Le piège se renferme détail après détail.
Cette expression a des déclinaisons diverses selon les pays et les cultures.
En Espagne, on dit : « Por un clavo se perdió un reino » – Par un clou, on a perdu un royaume. Ici, un seul clou suffit pour tout perdre.
En Belgique (Flandre) : « Ook de kleine lettertjes moeten gelezen worde » – Il faut lire les petites minuscules. Là, le détail serait plus dans le vice de l’auteur de ne pas rendre lisible, accessible, de vouloir cacher si le lecteur ne fait pas l’effort de lire tout.
En Algérie : « المطرق اللي تتحقر بيه يعميك el matrag li tethagar bih ya’mic » – Le bâton dont tu te moques te rendra aveugle. Et là, le détail peut se retourner contre nous, aveugle du risque, nous pouvons devenir durablement aveugle.
Le Risque et ses détails
Historiquement, la notion de Risque est liée à celle de probabilité (P.Berstein, “ Against the Gods : the remarkable story of risk”, New-York, Wiley 1996, et A. Giddens. “ Runaway World”, Profile Books 1999). On retrouve la matrice de Criticité ou l’Espérance mathématique : Probabilité X Gravité.
Quelle est la probabilité de survenance d’un événement ? Et(X), Quelle est l’ampleur des gains ou des pertes liées à celui-ci ? Quels en sont les impacts ?
Cette analyse issue des jeux de hasard fut appliquée au XVIIIème siècle par les assureurs maritimes, pour devenir ensuite partie intégrante des schémas de prise de décision rationnelle associant à toute alternative des probabilités de Succès ou d’Echec. Encore faut-il négliger aucune donnée, aucun détail pour appréhender l’ensemble du projet.
Il y a des évidences fondamentales que l’on appelle les Bruits Forts, inclus dans toutes check-lists, contrôlées plusieurs fois et par plusieurs personnes. Pour autant, savoir que notre travail est contrôlé maintes fois peut amener notre souci du détail, du respect du processus à être en moindre vigilance. Et l’erreur se glisse et parfois se répète discrètement jusqu’à l’Echec.
Et il y a les éléments plus subtils, les angles morts, les petits détails, les alertes des sans noms, que l’on peut appeler les Bruits Faibles. Personne ne s’en méfie car jusqu’alors tout fonctionne. Il y a comme seuil de tolérance, comme une volonté de ne pas aller trop loin dans le détail au regard des coûts supplémentaires de cette potentielle excellence. Et puis, rien n’est jamais encore arrivé. Mais l’Echec se construit peu à peu dans cette dérive. L’habitude d’entendre ce bruit faible officialise qu’il peut être négligé. La probabilité de l’évènement tragique augmente dans de faible proportion jusqu’à la rupture et sa facture (selon sa gravité).
Knight (“ Risk, Uncertainty and Profit”, Boston, Houghton Mifflin, 1921) introduit la distinction entre Risque et Incertitude : Le Risque peut être calculé, pas l’Incertitude. Notre responsabilité dans le Succès d’une opération est a minima dans la gestion du Risque où tout est calculé, intégré, référencé. Le Diable et ses détails peuvent en être écartés, il n’y a pas, ici, de hasard.
Le Diable est dans les détails : Et Dieu ?
La version opposée existe : « Gott steckt im Detail » ou Dieu est dans les détails (attribuée à l’architecte Ludwig Mies van der Rohe). Elle a une toute autre signification : Une œuvre n’est accomplie et belle que grâce à la qualité de ses détails.
Léonard de Vinci avait déjà glorifié les détails sans évoquer Dieu : « Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail ».
Pour atteindre le Succès, la prise en compte des détails semble incontournable que l’on soit en fin stratège face aux malins petits plaisirs du Diable que dans l’exigence Divine. La Réussite est un savant dosage de toxicité à éviter et de tonicité à amplifier.
Mais notre intérêt pour les plus petits détails pourrait nous divertir de l’essentiel, de la vérité, de notre grand projet, et nous perdre… Il n’y aurait alors pas d’Echec, ni de Réussite, juste une situation de Non-Echec ou de Non-Réussite, entre l’inconfort et la frustration.
Là où, peut-être, le diable est le plus efficace ….
Le Diable aurait alors sûrement gagné !